Note générale :
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Un jour, c’est sûr, dans un futur plus ou moins proche, on parlera du maloya comme du reggae, de la samba ou de l’afro-beat : un genre musical né quelque part, pas par hasard (lié à une histoire et un territoire), mais voué à chavirer la tête et les jambes de la terre entière. On ne sera pas peu fier de rappeler que tout avait commencé dans un improbable petit coin volcanique de France – pas l’Auvergne mais le département de la Réunion. On rappellera les noms des fondateurs (Firmin Viry, Granmoun Lélé, Danyel Waro…), qui ont défendu cette musique à une époque où elle était interdite par les autorités (jusque dans les années 80). Et on citera l’album Maloya Power, de Lindigo, en exemple de ces disques qui ont fait entrer le maloya dans le futur. Un grand pas pied nu, foulant la terre de la commune de Sainte-Suzanne, dans le nord agricole de l’île. C’est là, dans une cour, que Lindigo a enregistré son quatrième album. Olivier Araste, maousse chanteur du groupe : "Le maloya, ça se joue dehors, dans la nature, au bon moment. Le plus important, c’est le sol, la terre de la Réunion. Le cari au feu de bois, les champs de canne, les grillons, tout ça fait que l’album est magique. On avait enregistré les trois premiers albums en studio mais le son ne me plaisait pas. Là, on commence à trouver le bon bout. C’est la base, ça décoiffe, c’est du lourd, pour moi c’est top canon." Pour nous aussi, man. A l’origine, le maloya est une musique contestataire d’ouvriers agricoles. Un genre de blues ternaire de la Réunion, avec des influences et des instruments d’Afrique, de Madagascar et d’Inde, le tout fumant dans la grande marmite créole. Olivier Araste, 28 ans, a grandi avec le maloya traditionnel, familial, social et religieux. Il a appris en coupant la canne, puis dans les servis kabaré (fêtes réunionnaises) : "Soixante-dix personnes font les choeurs et il y a une voix lead, sans micro bien sûr. Alors tu te défonces le gosier mais quand tu y arrives, tu es chanteur de maloya." Et là, on vient de comprendre pourquoi il y a tant de bons chanteurs à la Réunion. Mais le maloya qu’Olivier pratique depuis plus de dix ans avec Lindigo (son groupe et son surnom depuis tout petit), c’est un peu comme le passage du blues au rhythm’n’ blues, voire au funk : l’histoire est là, dans la profondeur de champ (de canne), mais le groove est au premier plan. Il y a quelques années, un DJ réunionnais avait eu l’idée insolite de jouer la musique de Lindigo en discothèque. "Du maloya en discothèque, c’était trop bizarre. Mais les gens devenaient fous, c’était le gros tube. C’était pour tout le monde, enjoy man !" Il y a cinq ans, Olivier a découvert Fela et il ne s’en est pas remis. "a m’a pris direct, ce rythme qui tourne. L’esprit de l’afro-beat est dans Lindigo, joué avec d’autres instruments : les choeurs remplacent les cuivres, la cloche fait le rythme." L’année dernière, au festival Sakifo, Lindigo a même joué avec Tony Allen, l’ancien batteur de Fela – "un rêve, une grande émotion". Sur Maloya Power, le rythme du maloya, si dur à danser quand on n’est pas du 9.7, est une tournerie qui aspire donc des influences d’afro-beat, de funk (James Brown est un autre héros d’Olivier), de dub, de Brésil et d’Afrique – quand mélodica, balafon ou n’goni plongent dans la marmite. La production parfaite, à la fois roots et panoramique, fait de ce disque un nouvel étalon du groove réunionnais. Toujours conscient de l’histoire et de l’esprit du maloya, Olivier aime bien utiliser la rigolote expression "ancestralement parlant". Avec Maloya Power, il va devoir apprendre à la dire au futur. Stephane DESCHAMPS Les Inrocks Mars 2012
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