Podcast "Miss Paddle"
La première fois qu’elle a vu Miss Paddle, Judith Duportail l’a tout de suite exécrée, sans même la connaître. Postée sur le réseau social Instagram, sa photo dans une posture outrageusement suggestive, en maillot de bain, l’avait exaspérée.
Ainsi exposée, elle cochait toutes les cases de « la bonne meuf » formatée par le male gaze, le regard masculin – et plus largement les représentations de l’idéal féminin qu’il impose, largement écornées par Virginie Despentes dans le manifeste féministe King Kong Théorie. Avec ce cliché à première vue anodin, l’injonction patriarcale se distille déjà comme un poison dans l’inconscient de la journaliste. « Je suis obsédée par cette fille d’Insta à tel point que j’en ai fait un podcast », déclare-t-elle dans cette série saisissante en six épisodes, Qui est Miss Paddle ?, produite par Pavillon Sonore. Elle mène alors une investigation intime et sociale qui aura un impact dévastateur dans son couple.Car cette photo l’a mise face à ses propres failles narcissiques. Depuis, elle ne peut s’empêcher de suivre tout ce que poste l’influenceuse « comme une ado mate du porno ». Une addiction qu’elle dissèque avec humour et sans détours, se livrant à l’auditeur comme à un confident. Judith Duportail (également autrice du livre L’Amour sous algorithme, éd. Goutte d’Or) déteste l’objet de son attention autant qu’elle finit par vénérer sa beauté…Mais plus elle épie son compte, plus Instagram lui propose de suivre des « influenceuses » qui ressemblent à Miss Paddle. Son mal-être s’accroît, elle se sent « comme dans Blanche-Neige, où la reine demande à son miroir qui est la plus belle – autrement dit : montre-moi toutes celles que je n’arrive pas à être. » Ce cercle vicieux ne fait qu’ouvrir davantage la brèche. Et Judith découvre que son amoureux « like » la vie en rose et paillettes de cette chère Miss Paddle, l’amenant à se dévaloriser encore davantage.
Instagram et le suicide chez les jeunes adolescentes
Interrogée, la consultante en stratégie digitale Noémie Buffault observe que « le fonctionnement opaque des réseaux sociaux repose sur des émotions négatives, avec un discours ultralibéral du “tout est possible” ». La spécialiste pointe une étude anglaise établissant qu’Instagram est un des réseaux sociaux poussant le plus au suicide les jeunes adolescentes, en leur renvoyant une image de perfection inatteignable et insoutenable.
Remarquablement écrite et documentée, la série décrypte le phénomène d’emprise à travers une histoire personnelle. Miss Paddle vs Miss Origami appliquée à se plier à l’idéal masculin, puis à tous les désirs de son compagnon, jusqu’à la maltraitance.
En suivant le fil Instagram de Miss Paddle, Judith Duportail raconte aussi l’histoire d’une résilience, celle de toutes ces femmes soumises aux injonctions dévastatrices du patriarcat.